Arxius
Juliol de 1855. El parnassià Théophile Gautier contempla (ara sense risc de torticoli) l’Apoteosi d’Homer del neoclàssic Ingres.
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Il y a eu sur le globe un petit coin de terre qui s’appelait la Grèce, où, sous le plus beau ciel, chez des habitants doués d’une organisation intellectuelle unique, les lettres et les beaux-arts ont répandu sur les choses de la nature comme une seconde lumière, pour tous les peuples et pour toutes les générations à venir. Homère a le premier débrouillé par la poésie les beautés naturelles, comme Dieu a organisé la vie en la démêlant du chaos. Il a pour jamais instruit le genre humain, il a mis le beau en préceptes et en exemples immortels. Tous les grands hommes de la Grèce, poètes, tragiques, historiens, artistes de tous les genres, peintres, sculpteurs, architectes, tous sont nés de lui : et, tant que la civilisation grecque a duré, tant que Rome, après elle, a régné sur le monde, on a continué de mettre en pratique les mêmes principes une fois trouvés. Plus tard, aux grandes époques modernes, les hommes de génie ont refait ce qu’on avait fait avant eux. Homère et Phidias, Raphaël et Poussin, Gluck et Mozart, ont dit en réalité les mêmes choses.
Jean Auguste Dominique Ingres
[A: Henri Delaborde, Ingres, sa vie, ses travaux, sa doctrine, d’après les manuscrits et les lettres du maître (Paris, 1870), pàgs. 146-147)]

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Commençons par l’Apothéose d’Homère, — ab Jove principium. — L’apothéose d’Homère, comme chacun le sait, servait de plafond à une des salles du musée Charles X, et dieu sait combien de torticolis nous avons gagnés en la contemplant : nous pouvons l’admirer maintenant à notre aise redressée contre un mur, ce qui est sa vraie position, car la composition entendue avec la placidité sereine d’un bas-relief antique ne plafonne pas du tout.
Nous ne croyons pas, après avoir visité toutes les galeries du monde, que l’Apothéose d’Homère redoute la comparaison avec un tableau quel qu’il soit. Si quelque chose peut donner l’idée de la peinture des Appelle, des Euphranor, des Zeuxis, des Parrhasius, telle que les témoignages des anciens nous la retracent, c’est assurément l’Apothéose d’Homère. En retranchant les personnages modernes qui garnissent le bas du tableau, elle eût pu, ce nous semble, figurer dans la pinacothèque des Propylées, parmi les chefs-d’œuvre antiques.
Devant le péristyle d’un temple dont l’ordre ionique rappelle symboliquement la patrie du Mélésigène, Homère déifié est assis avec le calme et la majesté d’un Jupiter aveugle ; sa pose immobile indique la cécité, quand même ses yeux blancs comme ceux d’une statue ne diraient pas que le divin poëte ne voit plus qu’avec le regard de l’âme les merveilles de la création qu’il a retracées si splendidement. Un cercle d’or ceint ses larges tempes, pleines de pensées ; son corps, modelé par robustes méplats, n’a rien des misères de la caducité ; il est antique et non vieux : l’âge n’a plus de prise sur lui, et sa chair s’est durcie pour l’éternité dans le marbre éthéré de l’apothéose. D’un ciel d’azur que découpe le fronton du temple, et que dorent comme des rayons de gloire quelques zones de lumière orangée, descend dans le nuage d’une draperie rose une belle vierge tenant la palme et la couronne. Aux pieds d’Homère, sur les marches du temple, sont campées dans des attitudes héroïques et superbes ses deux immortelles filles, l’Iliade et l’Odyssée : l’Iliade, altière, regardant de face, vêtue de rouge et tenant l’épée de bronze d’Achille ; l’Odyssée, rêveuse, drapée d’un manteau vert de mer, ne se montrant que de profil, sondant de son regard l’infini des horizons et s’appuyant sur la rame d’Ulysse : — l’action et le voyage !
Ces deux figures, d’une incomparable beauté, sont dignes des poëmes qu’elles symbolisent; quel éloge en faire après celui-là !
Autour du poëte suprême se presse respectueusement une foule illustre : Hérodote, le père de l’histoire, jette l’encens sur les charbons du trépied, rendant hommage au chantre des temps héroïques ; Eschyle montre la liste de ses tragédies ; Apelles conduit Raphaël par la main ; Virgile amène Dante, puis viennent Tasse, Corneille, Poussin, coupés à mi-corps par la toile ; de l’autre côté, Pindare s’avance, touchant sa grande lyre d’ivoire ; Platon cause avec Socrate ; Phidias offre le maillet et le ciseau qui ont tant de fois taillé les dieux d’Homère ; Alexandre présente la cassette d’or où il renfermait les œuvres du poëte. Plus bas s’étagent, en descendant vers l’âge moderne, Camoëns, Racine, Molière, Fénelon, rattaché au chantre de l’Odyssée par son Télémaque.
Il règne dans la portion supérieure du tableau une sérénité lumineuse, une atmosphère élyséenne argentée et bleue, d’un douceur infinie ; les tons réels s’y éteignent comme trop grossiers, et s’y fondent en nuances tendres, idéales. Ce n’est pas le soleil des vivants qui éclaire les objets dans cette régions sublime, mais l’aurore de l’immortalité ; les premiers plans, plus rapprochés de notre époque, sont d’une couleur plus robuste et plus chaude. Si Alexandre, avec son casque, sa cuirasse et ses cnémides d’or, semble l’ombre d’une statue de Lysippe, Molière est vrai comme un portrait d’Hyacinthe Rigaud.
Quel style noble et pur ! quelle ordonnance majestueuse ! quel goût véritablement antique ! Dans ce tableau sans rival, l’art de Phidias et d’Apelles est retrouvé.
[…]
Théophile Gautier
“Exposition universelle de 1855”
Le Moniteur Universel, 12 & 14 juillet 1855